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Le musicien du métro parisien

11 Décembre 2023

Le musicien du métro parisien

Issu d’un exercice d’atelier écriture, j’ai plaisir à vous partager ce texte pour les émotions qui peuvent surgir et s’exprimer dans le lien que nous pouvons avoir avec le monde qui nous entoure.

 Dans ce que nous pouvons aller puiser en chacun de nous, dans cette force et cette beauté dont nous ne mesurons pas toujours l’immensité. 



                                                                                            LE MUSICIEN DU MÉTRO PARISIEN 

 

L'homme s'était installé dans l'entrée principale d'une grande station du métro parisien. Il avait trouvé un recoin entre le kiosque à journaux et une machine automatique de vente de tickets. 

L'air froid du dehors entrait vivement tandis que des bouffées d'air chaud montaient du sous-sol. On pouvait sentir un mélange de café, d'urine, et cette odeur si particulière et si propre aux vieilles rames de Paname. 

 

Il était encore tôt ce matin-là, mais il y avait déjà foule de gens pressés, poussant avec habitude et impatience les tourniquets d'accès aux quais. 

Des profondeurs remontaient les sons aigus des freins, tandis qu’un brouhaha de voix, d'interpellations et de cris se diffusait en continu et signalait l'occupation humaine presque exclusive des lieux. 

 

C'est alors qu’un nouveau son se fit entendre. 

Mélodieux et d'une infinie tristesse.

 L'homme, la tête inclinée et le menton posé sur son violon, maniait l'archet avec virtuosité. Tout en vrilles aigues et mélancoliques, il entama une chaconne de Bach. 

Les yeux fermés, il vivait sa musique.

 Il vivait sa nostalgie, ses intensités dramatiques et sa poignante lenteur.

 Il oublia l'espace de quelques instants où il était, ses joies maigres et ses peines immenses. 

Quand il rouvrit les yeux, le brouhaha lui revint, l'agitation humaine et le passage indifférent des gens devant lui. 

Il remarqua quelques pièces dans le gobelet posé à ses pieds. 

Une femme passa, marchant vite et ne le regardant même pas, jetant une nouvelle pièce. 

Il ne sut que penser. 

Avec une grande douceur, il entama l’Ave Maria de Schubert. 

Il en aimait la lenteur, la force, ses aigus frappant les tympans pour se faire plus suaves, plus intimes.

 Lui et son violon ne faisaient qu’un. 

Une complicité infinie émanait de leur duo. 

Un homme se posta devant eux et les écouta, semblant intéressé par cet instant solennel qui lui était proposé. 

Bien vite, la réalité le rattrapa quand il regarda sa montre. L'heure n'était pas à la flânerie, c'est qu' il avait un métro à prendre et une famille à nourrir. 

Le musicien continua de jouer. Il avait décidé de se faire plaisir.

 Il voulait offrir sa musique, enchanter les oreilles et ravir les esprits de ces gens pressés. Mais il avait aussi besoin de dresser une muraille devant l'indifférence et de savourer son art pour lui seul. 

Quand il attaqua le registre de Manuel Ponce, avec des aigus comme des gouttes d'eau tombant de plus en plus vite sur les pavés froids et graves des vieilles rues, il vit, heureux, les regards captivés de deux jeunes enfants, hypnotisés par son jeu d'archet et l'intensité de ses notes. 

Rien que pour cela il reviendrait demain. 

Rien que pour cela il jouerait, encore et encore, jour après jour, de bouche de métro en coin de rue, de menue monnaie en vie précaire et usante, de vieux meublés en chambres d’hôtel miteuses, et parfois de bancs publics en portes cochères. 

Rien que pour cela. 

Voir ces regards médusés, ces oreilles innocentes et pures écouter, imaginer, vibrer, ressentir, leur âme décoller, s'envoler, voyager et s'évader. 

Avec tristesse, il vit leur mère les tirer impatiemment en arrière, les arracher à ce moment d'écoute. 

Avec tristesse, il vit ces petits mômes résister et les bras maternels insister et les lui enlever, le priver de leur attention. 

Alors, avec rage et désespoir, son archet attaqua les cordes du violon de salves et de vrilles d'un aigu intense, agressant les tympans de tous ces indifférents. 

En jouant du Massenet, ses sourcils étaient froncés, sa bouche était devenue grimaçante, tout à sa douleur et sa haine du monde hostile et méprisant qui pouvait être le sien. 

Soudain, son regard croisa à nouveau celui des deux bambins. 

Ils étaient revenus. 

Ils s'étaient évadés des bras maternels. 

Ils avaient bravé la foule. 

Pour lui. 

Pour l'écouter.

Pour vivre sa musique. 

Dans leurs yeux se lisait tant de simplicité, de vérité et d'étonnement aussi devant sa hargne qu’il eut envie d'en pleurer. 

Alors, pour son jeune public, il termina son morceau avec une infinie douceur. 

 

Et dans un grand sourire, lui, son violon et son archet, entonnèrent un Bach glorieux, plein de vivacité, d'énergie et de lumière. 

Il y mit de la joie, de l'amour et de la poésie. 

Il puisa tout au fond de lui ces trésors dont il ne soupçonnait pas la force et la puissance, dont il ne pensait plus qu’ils pouvaient être siens. 

Le musicien du métro parisien était heureux.

 

Valérie Rossignol 

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